Cela faisait quelques jours que j’étais dans cet endroit. Comme je me promenais régulièrement, je commençais à connaître l’emplacement de chaque lieu important. Depuis peu, j’avais découvert la bibliothèque. Elle se trouvait plutôt loin du quartier où je m’étais éveillée, mais je m’y rendais si souvent que je connaissais le chemin par cœur. J’adorais la bibliothèque pour le calme qui y régnait et l’odeur des vieux livres qui flottait dans l’air. Mes journées se faisant de plus en plus vides sans mes compagnons de voyage, j’occupais mon temps tant bien que mal et passais mes journées à la bibliothèque à arpenter les innombrables rangées ou à laisser des messages et des gribouillis sur les tables à l’intention des prochains utilisateurs.

Ce fut donc sans surprise que je m’y trouvai aujourd’hui aussi, parcourant les longues rangées de bouquins en laissant mes doigts glisser sur leur reliure de cuir ancien.  Je m’arrêtais parfois, intriguée par un livre. Je l’attrapais, le feuilletais quelques secondes puis le replaçais à sa place. Je répétais ce manège pendant des heures. Aujourd’hui, cela ne m’amusait plus autant que les jours précédents puisque je sentais cela devenait déjà peu à peu une routine. Je fis quelque chose que je n’avais encore jamais fait, ironiquement : je pris un livre au hasard et allai m’asseoir à une table avec l'intention de le lire.

Avant de commencer ma lecture, j’examinai avec intérêt le livre. La couverture était recouverte de cuir. Sur ce dernier était gravé en lettres dorées le titre : Le manuel de l’herboriste. Par son allure, je devinai que ce guide devait être très vieux. Il était impressionnant de voir un livre ancien dans un si bon état. Je tournai rapidement ses pages fragiles et jaunies par le temps en survolant le texte sans vraiment m’y intéresser. L’écriture était serrée et petite, si bien que je fus aussitôt dissuadée de lire ce livre. Le travail qu’avait fait le relieur pour ce livre relevait de l’œuvre d’art, mais pour la typographie, il n’avait rien pu faire visiblement.

Lorsque je me levai et balaya la salle du regard, j’aperçus une jeune femme assise pas très loin de moi. Elle était dos à moi et semblait absorbée par sa lecture. Ses cheveux étaient longs et blonds et elle était plutôt mince, voire fragile. La ressemblance me frappa immédiatement, j’en restai stupéfaite. Était-ce Alicia, ma meilleure amie? Je laissai tomber le livre bruyamment sur la table en bois et me dirigeai à grands pas vers elle sans discrétion. Je posai ma main sur son épaule pour attirer son attention.

—Alicia? demandai-je, encore entre la joie et le choc.

Lorsque la jeune femme blonde se retourna et que j’aperçus son visage, je compris que j’avais confondu Alicia avec une parfaite inconnue. Contrairement à Alicia, son visage était plus enfantin et son teint était si blafard qu’elle paraissait malade. Elle avait aussi une canne. Mes épaules s’affaissèrent et je lâchai un soupir. La déception était lisible dans mes yeux, tout comme dans ceux de l’étrangère. Je sentis la tristesse m’envahir, mais je tentai de voir les bons côtés de la situation. Ça va… C’est pas elle, et alors? Tu voulais te défaire de toutes tes attaches! Si tu l’avais retrouvée, tu n’aurais pas pu accomplir ton objectif. Tu t’ennuies d’elle, je comprends, mais c’est simplement un mauvais moment à passer… me dis-je pour me remonter le moral, bien que ces pensées n’eurent aucun effet sur mon humeur désormais maussade.

L’inconnue saisit ma main de ses doigts glacés et l’enleva de son épaule. D’un ton détaché, elle se présenta et s’excusa. Je m’efforçai de ne pas lui faire subir mon air attristé en lui offrant un petit sourire forcé. Feintant l’embarras, je baissai la tête en passant ma main sur ma nuque et présentai mes excuses à mon tour.

—Excuse-moi, je t’ai dérangée alors que tu lisais. Je t’ai prise pour quelqu’un d’autre…

La blonde eut un geste qui me surprit. Plutôt que de me quitter du regard et de poursuivre sa lecture, elle glissa le marque-page dans son livre et le referma, visiblement ouverte à la discussion. Je la dévisageai d’un œil surpris, me demandant comment une personne qui paraissait aussi apathique et introvertie pouvait bien vouloir discuter avec quelqu’un qu’elle ne connaissait même pas.

—Moi, c’est Chloé. Enchantée, me présentai-je avec hésitation.

Mes yeux se détachèrent d’Astrid et se posèrent sur le sol. Je pensais encore à ma meilleure amie pour qui j’étais très inquiète. J’engouffrai mes mains dans les poches de ma veste de jeans comme pour trouver le courage de relever le regard vers elle et poursuivre la conversation.

—Que lisais-tu?